Le jour se levait à peine lorsque le recruteur et son "poulain" arrivèrent aux portes d'une grande cité. Elle était séparée en deux morceaux distincts répartis de part et d'autre d'un fleuve et réunis par deux grands ponts. Des bateaux accostaient le lieu par l'intermédiaire d'un grand port central donnant sur le fleuve. L'ensemble était protégé par de grandes murailles. L'homme se tourna vers l'enfant :
"Voici Château-Zenthil, ton tombeau, notre enfer...un lieu où seuls des êtres comme nous peuvent survivre. Ici tu pourras continuer à ressentir mais tu n'auras plus d'émotions. C'est ta seule chance...mais pas la peine de t'expliquer longuement, tu vas comprendre cela très vite."
Ils entrèrent dans une ville en ébullition. De toute évidence une fête se préparait. La ville était parsemée d'êtres infâmes, d'odeurs infectes et d'un délabrement qui rompait avec la richesse du port.
Le recruteur empoigna fermement l'enfant comme pour signifier sa propriété aux voleurs ou meurtriers qui les entouraient de toute part. Arrivé dans un quartier aussi vivant qu'un marché les jours de foires, il enferma son poulain dans une petite cage. L'enfant résista un instant puis se plaça dans la position du fœtus. Le recruteur s'éloigna pour discuter avec un groupe d'hommes sombres et barbus qui semblaient l'attendre avec impatience et exaspération. Après quelques minutes d'âpres négociations, il revint auprès de l'enfant et ouvrit la porte de la petite cage.
"C'est bon, ils m'ont fait confiance. Viens avec moi".
Il lui prit le poignet et le traîna sur une dizaine de mètres puis l'enferma dans un box de cheval. Il y en avait cinq au total accolés comme pour les courses de chevaux. La matinée était encore jeune, le soleil pénétrait avec difficulté entre les toitures et au-travers de la poussière remuée par l'effervescence globale. Le recruteur regarda l'enfant avec son œil de saphir et commença à lui donner des instructions.
"Ecoute moi bien, tu vas devoir..." Mais le regard et l'esprit de l'enfant se tournèrent vers les autres box, quatre autres enfants écoutaient leurs propres recruteurs. Tous semblaient angoissés, leur attention se portait vers un autre box situé quelques mètres en arrière. L'enfant suivit leur regard et observa un box plus large dans lequel une bête semblait gémir et se ruait contre les parois. Elle avait quatre pattes et de grands piques rutilants. Son râle était fort et de la fumée s'échappait de chacune de ses expirations. Il tenta d'affiner son regard mais une gifle puissante donnée par le recruteur ramena son esprit dans son box.
"Ecoute moi sale zentish ! Il en va de ta vie et de mon argent. Tu vois les hommes là-bas, ils viennent du quartier voisin et ont loué mes services pour leur trouver un poulain d'exception. J'en ai vu des futurs monstres mais c'est sur toi que j'ai misé. Ton poignet montre que tu aurais dû devenir quelqu'un, que tu as appris à te battre avec une épée et que tu as reçu un enseignement qui fait de toi quelqu'un d'éclairé. Autant d'avantages que tes concurrents n'auront pas. Désormais tu vas jouer ta vie. Alors écoute-moi bien.
Un petit cri de souffrance bestial se fit entendre.
"Regarde près des autres enfants; des hommes sont en train de les recouvrir de sang, ils vont venir pour toi aussi."
A ce moment l'un d'entre eux arriva avec un petit marcassin et le perça délicatement avec sa dague. Ses cris interpellèrent la bête qui s'excita dans son box. Du sang frais s'écoula sur son front et après l'avoir achever, l'homme frotta le corps du marcassin contre le corps de l'enfant.
"Celle que tu entends là-bas, c'est sa mère, une laie adulte sur laquelle on a attaché un corset recouvert de piques en acier. Elle est très en colère, on vient de tuer ses petits, leurs sangs et leur poils vous recouvrent. Elle vous tient pour responsable de leur mort et va vous traquer avec leur odeur jusqu'à la mort. La course dans la ville est une tradition dans cette partie de la cité".
La terreur gagna chaque membre, chaque organe de l'enfant.
Le recruteur ajouta :
"Si tu survis en la tuant, tu gagneras l'estime de pas mal de gens ici et l'espoir de vivre une vie meilleure".
Juste avant le départ, le recruteur lui glissa quelques mots inodibles à l'oreille, un dernier geste que les autres recruteurs n'avaient pas fait. L'enfant observa les autres enfants le regarder avec rage et terreur. Sa voix grave se termina par ces mots :
" ...il n'y en aura qu'une pour cinq, ils le savent mais toi, tu sais désormais où elle se trouve. Survis et tu pourras t'en saisir et gagner cette course".
Le recruteur lui tapota vaillamment l'épaule puis recula. Toute la foule se terra derrière des plaques de bois situées de part et d'autre de la rue. Un homme fit un décompte puis les box s'ouvrirent. Les cinq enfants se mirent à courir tout droit en direction du fleuve et du pont. Cinq secondes plus tard, le box de la bête fut ouvert. Elle fonça en direction des enfants en traversant leurs box qu'elle brisa d'une traite avec son corset d'épines d'acier. L'enfant se retourna un bref instant, la bête était à leurs trousses. La course contre la mort venait de commencer.